vendredi 12 septembre 2008

Extrait du livre "Le Centre de l'Etre" de K.G. DÜRCKHEIM

SUR LE CHEMIN, IL FAUT MAITRISER UNE TECHNIQUE,

Mon maître de tir à l'arc, Umeji Roshi, à écrit un petit article qui a pour titre : "Le Tao c'est la technique, la technique c'est le Tao". Il explique que l'homme qui sait faire de telle façon qu'il n'a plus besoin de faire laisser place à une autre force qui, si elle est authentique et pas dérangée par autre chose, représente déjà une manifestation de la Grande Vie.
Afin de maîtriser la technique, il ne faut pas penser trop vite à la performance. Dans la pratique du tir à l'arc, vous tirez pendant trois ans sur une cible qui est située à une distance de trois mètres. Vous n'avez pas à faire une effort performant pour l'atteindre.
Pendant les premiers mois, celui qui tire et l'arc sont opposés l'un à l'autre. Et l'arc ne fait pas du tout ce que vous voulez ! Ce n'est qu'après des mois d'entrainement quotidien que vous vous sentez uni à l'arc. Ensuite c'est la cible qui est en opposition avec celui qui tire. Et là encore il vous faut des années d'exercice quotidien pour que celui qui tire, l'arc, la flèche et la cible ne fassent qu'un.
Le maître d'exercice est sévère, d'autant plus s'il vous sent engagé à partir de votre volonté. Je m'entendais dire : "Enlevez donc la cible de votre oeil !" Mais avec quoi dois-je regarder, avec quoi dois-je viser ? "Il ne s'agit pas de viser!" "Votre menton ! Vous êtes là comme un animal qui fonce sur sa proie!" "Votre visage ! pourquoi êtes-vous si crispé ?" Au début je ne comprenais pas cette formation et j'avais parfois du mal à accepter ces remarquent qui bousculent l'ego. Mais année après année, j'aboutissais à cette attitude où tout va de soi-même. Cet enseignement fait qu'après un certain temps vous êtes capable de mettre à la disposition d'une force plus profonde la technique que vous maitrisez parfaitement parce qu'elle est nettoyée d'un moi qui jusque-là était encore trop engagé. L'exercice, c'est se mettre au service de quelque chose de plus profond qui fait le travail pour vous. La technique chaque jour renouvelée nettoie le moi qui se sent obligé de toujours faire. Il peut alors arriver que votre main s'ouvre comme une fleur, sans que vous l'ayez voulu, et la flèche part, sans que vous ayez voulu qu'elle parte !
Le jour où pour la première fois j'ai eu cette expérience, le maître à couru vers moi. Il était ravi ! C'est comme s'il avait soigné un enfant pendant des années et que pour la première fois, celui-ci marche tout seul ! En cet instant m'apparaissait l'amour du maître qui, dans sa façon d'être sévère et dur, est vraiment un avec son disciple sur le plan de l'être intérieur. Il n'avait aucun intérêt pour ma biographie mais était attentif à l'Etre essentiel dont il cherchait la libération à travers un exercice.
Le moi naturel a l'ambition d'être vu, d'être reconnu, d'être au centre, d'être compris ; c'est le petit pécheur. Le moi existentiel est enfermé dans sa conscience objectivante, qui doit comprendre, qui doit toujours encore faire ; c'est le grand pécheur. Le chemin c'est réaliser à travers un exercice un moyen de s'apercevoir de la différence entre soi-même encore identifié au moi accroché à l'existence et celui qui est capable de mettre le moi bien entrainé à la disposition de que quelque chose de plus profond. La performance n'a de sens que si elle est l'expression d'un moi nettoyé de toute ambition.
Dans le tir à l'arc, il n'est pas tellement important d'atteindre la cible ou non. C'est l'attitude qui compte, la confiance qu'on donne à ce quelque chose de plus profond. La maîtrise du moi fait la preuve de la liberté spirituelle de l'homme entier. Le sens de l'exercice est la transparence à une force transcendante dans l'action.
Le but de chaque entraînement sera toujours la performance. Dans le tir à l'arc, c'est le centre de la cible.
Mais nous devons faire la différence entre le but de l'entrainement et le sens de l'exercice qui est l'homme transformé.
Le moment suprême du tir à l'arc est une action dans laquelle l'homme entier est engagé. Et c'est là qu'il exerce, éveille et démontre la possibilité d'un non-faire dans l'action.

Extrait du "Centre de l'Etre" de Karfield Graf Dürckheim