SHIN - Vérité
KO - Lumière
SUGATA - Posture
En 1986, Maître Yoshio KITAJIMA m’a fait remettre par mon Sempaï Bruno GARNERO une calligraphie de sa main, cadeau inestimable qui allait me servir de viatique pour le reste de mon existence.
J’avais rencontré Maître KITAJIMA, élève et successeur de Maître ANZAWA, venu en Europe à l’invitation de Christian MAGNIER Sensei sur la tombe d’Eugen HERRIGEL, au groupe de Bruno GARNERO à Cherbourg.
Du premier tir de Maître KITAJIMA, la débutante que j’étais ne vit que l’immense puissance de cette magnifique montagne formée par l’Ashibumi. Enracinement maximum, centre du mouvement ultérieur, vraie source de ce splendide épanouissement qu’est l’ouverture de l’arc.
Dans la dédicace et les délicats iris d’eau qui en formaient la base, je vis aussi toute la poésie du calligraphe.
SHIN – VERITE
J‘ai mis des années à percevoir qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un conseil moral, réprouvant le mensonge ou l’exagération.
C’est l’Impact de la flèche qui nous indique le respect de la Vérité du tir, ou s’il y a eu l’irruption subite d’une pensée venant en ternir la pureté. Pureté du tir, pureté du son qui comble alors l’oreille et libère toute la puissance de la flèche.
Qu’il est difficile de vider son esprit pour atteindre cet état de dépouillement que l’on appelle « mushin ». Notre petit ego, aux aguets derrière la porte, se rue sur le moindre interstice pour s’y faufiler…
On sent vite que le seul secours possible est alors le souffle, objet d’une « attention » méthodique dont la régularité rythme et pacifie le geste.
KO – LUMIERE
Le professeur de calligraphie à qui j’ai montré l’œuvre de Maître KITAJIMA a marqué un temps d’arrêt, tant cette magnifique discipline peut accepter d’interprétations différentes. Puis elle a opté pour KO – LUMIERE.
Ravissement des peintres venus à la suite de Monet admirer la subtilité de celles de mon île. Sa beauté nous laisse parfois en suspens.
Lumière de l’âme qui transparaît dans un beau regard ou dans un visage d’enfant éclairé d’un sourire.
Clarté de la pensée, de l’expression.
Ce qui relie ces notions et nous ramène à la Vérité, c’est la Pureté, leur dénominateur commun. L’absence de parasite, le dénuement, le vrai dépouillement.
Obligation de se tourner vers l’intérieur quand, l’âge venant, la vision nous fait défaut et ne nous est plus que chichement dispensée. Le souvenir, pourtant, restitue le passé dans tout son éclat. Mais que n’avons-nous chanté de Joie tous les matins, en ouvrant les yeux sur la beauté du monde ?
SUGATA – POSTURE
La Posture est l’armature de la Beauté.
On comprend alors la nécessité d’un incessant travail de perfectionnement du Taïhaï, sous peine de voir une colonne dorsale prompte à s’effondrer, une musculature à se relâcher, des orteils à crier grâce.
Ne pas s’y efforcer de tout son possible serait faire insulte au tir et à l’arc magnifique qui en est le vecteur. Arc fabriqué avec tant de respect par un maître Facteur d’arc revêtu de son hakama, purifié par le recueillement.
Comment ne pas voir que la correction de sa propre tenue en est le corrélat obligatoire, et pas une question d’esthétique?
Tout cela nous conduit à la notion de transmission et d’enseignement.
Enseigner le kyudo, ce n’est pas seulement partager un savoir technique.
Chacun arrive au kyudo avec le corps qu’il a, à tel ou tel âge, plus ou moins blessé et souvent bien peu approprié à cette discipline.
Enseigner le kyudo, c’est l’ INCARNER, c’est « être » en plénitude avec l’arc, la flèche et la cible.
Pour enseigner, un seul secret : servir, servir, servir, sans se décourager des échecs. Ouvrir son cœur à la difficulté de l’autre, juste reflet de nos propres tâtonnements, sans aucun jugement de valeur.
Qui d’entre nous, ayant travaillé avec un Maître japonais, n’a pas été frappé par cette extraordinaire qualité de communication et d’attention, qui nous pousse à nous dépasser ? Qui ne connaît alors la gratitude qui nous envahit de l’honneur d’un tel partage ?
L’élève que nous conduisons petit à petit devant la cible en lui faisant affronter sa peur nous donnera la meilleure mesure de notre indispensable humilité. Il nous tend le miroir de notre propre chemin.
Il sera alors transmis de cœur à cœur le plus précieux, le plus profond d’une personne à une autre. Chacun y découvrira sa Joie.
Keroyan, 11 mars 2008
Dojo de Kyudo à Belle-Ile, AKBI
Françoise LAVAL, 5è dan